Nous avons commencé à penser habiter sur l'eau en 2011. Nous nous déplacions beaucoup à vélo le long du canal du Midi, nous étions sensibles au charme des bateaux, mais comme beaucoup de gens, nous pensions que c'était une vie trop compliquée, pas pour nous.
Vivre là !
Et finalement, si. Pourquoi ? Le charme d'une vieille et robuste machine chargée d'histoire, la vie dans l'eau au milieu de la faune, la possibilité de bouger facilement. Une envie spontanée de ne pas faire comme tout le monde. Le plaisir aussi de trouver du sens dans des démarches de réduction de notre empreinte écologique, et d'autonomisation énergétique : dans une maison branchée à une usine d'épuration Veolia, à quoi bon installer des toilettes sèches ? Quel est le sens du photovoltaïque, quand l'État en a fait un mélange de niche fiscale et de subventions aux artisans-couvreurs ?
Premier contact avec Elorn, Avril 2012.
Résultat, en 2012, nous achetons Élorn : un automoteur de canal de gabarit Freycinet (ce que les gens d'à-terre appellent une "péniche", bien que les péniches, aujourd'hui disparues, étaient des bateaux en bois non motorisés de 38.5m x 5.05m). Un bateau né en 1907 à Ombret en Belgique, à une époque où les bateaux en fer imitaient encore les courbes de leurs ancêtres en bois. Les conceptions plus récentes s'inspirent plutôt de la boîte à chaussures, le critère étant de remplir au mieux les sas d'écluses. Jusqu'à sa première motorisation dans les années 50, il était halé par des animaux ou des tracteurs spécialisés. Élorn cesse le commerce en 1980, et plusieurs propriétaires successifs tentent de le transformer en logement ou en établissement public, sans grand succès. Il est raccourci, de 38m à 30m, lui permettant de passer dans les petites écluses des canaux du Midi ou du Nivernais (on raccourcit un bateau en decoupant un tranche au milieu,, puis en ressoudant les deux extrémités ensemble.
Élorn dans les années 50, récemment motorisé, à l'époque avec un moteur GM de char Sherman. Notez les sauterelles.
Le bateau est en bon état. Tout d'abord, l'épaisseur de coque est bonne ; c'est à vérifier absolument en cale sèche avant d'acheter un bateau en fer, sous peine de catastrophe financière : changer un fond pourri, c'est 50000€, des mois de travaux, et le démontage de tout l'aménagement intérieur ! Le moteur, un [Baudouin DK4] de 1956, démarre au quart de tour grâce à sa [bouteille d'air comprimé] ; il pèse autant qu'une voiture pour 100CV, mais il est indestructible et pourrait brûler du goudron en guise de carburant. L'électricité demande quelques mises aux normes, mais rien de dramatique.
La plomberie réclame d'être revue, en revanche : tout part directement au canal, ce qui n'est plus légal. La mise en conformité est délicate, les textes nécessaires n'étant pas tous publiés. Les eaux usées doivent être stockées ou retraitées par un système aux normes, mais ces normes ne sont toujours pas sorties, et sur l'essentiel du réseau il n'y a pas de service de bateau-vanne (le nom poli pour dire "pompes à merde flottantes" :)). Quant à imaginer tous les bateaux-logement aller dépoter au port régulièrement, c'est une plaisanterie : beaucoup ne sont plus en état de naviguer, ceux qui le sont n'ont pas forcément de propriétaire capable de les conduire, et imaginez les embouteillage, que ce soit au port ou dans les rares aires de retournement adaptées aux 30m et 40m... Donc nous retraitons nos eaux grises (eaux usées sauf toilettes) dans un bac de dégraissage, en renonçant à certains produits comme la javel, et installons des toilettes sèches dont Écopons accepte gentiment le compost. Un peu de tuyauterie, des pompes de relevage, des vannes 3-voies pour conserver le tout-au-canal en cas de panne ; un système de potabilisation, pour utiliser et boire l'eau du canal ; et voilà !
L'électricité était adaptée à une vie perpétuellement connectée à une prise de quai, pas à l'autonomie. Les toutes petites batteries 24V n'alimentaient, outre les organes de navigation, que quelques ampoules dans l'habitacle. Il y a un groupe électrogène au fioul (essence interdite en salle machine, pour cause de vapeurs et de risques d'explosion), mais il est bruyant, polluant, cher, et n'aime pas tourner en faible charge. Donc nous nous lançons dans une installation qui nous rendra au bateau sa mobilité : d'abord un gros jeu de batteries, de quoi stocker plusieurs jours de consommation ; un chargeur-onduleur, qui va charger ces batteries, depuis le quai ou le groupe, et retransformer leur énergie en 230V au besoin ; des panneaux solaires amorphes (rendement moindre que le monocristallin installé pour profiter des subventions / rachat, mais plus régulier en cas de mauvais temps ou d'ombre partielle), avec leur chargeur ; un paquet de boutons dans l'habitacle pour piloter tout ça ; de l'électroménager basse consommation électrique ; il nous reste à choisir un chauffage permanent non-électrique (notre poêle actuel est un gouffre), et à installer un chauffe eau solaire, idéalement avec un bouilleur dans le poêle pour l'hiver.
Dans la suite de ce blog, je compte détailler les installations d'autonomie que nous avons faites, et celles que nous ferons. Ce travail servira de base à un mode d'emploi du bateau, pour pouvoir le prêter, le louer ou le transmettre un jour à un successeur. J'espère qu'il sera aussi utile à ceux qui veulent se lancer dans l'économie et l'autonomie énergétiques, sur l'eau ou ailleurs.
Quelques photos historiques: dans les années 60, en 1994.
Dans les années 2000, en navigation en 2013.